
Christine Monot.
[Nota de E. O.: La primera parte de este relato de la escritora francesa Christine Monot —inspirado, según nos cuenta, en sendas visitas de Antonio Gamoneda a la ciudad de París— fue escrita en 1992, coincidiendo con la publicación de Libro del frío (1992), mientras que la segunda parte tomó forma ya en el siglo XXI, después de que el poeta astur-leonés recibiera algunos de los más importantes galardones de la literatura nacional e internacional.]
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Le poète sauvage à Paris
Le public peu nombreux se répartissait en deux zones. Certains s’étaient déjà engouffrés dans le petit amphithéâtre obscur où ils se chuchotaient des choses à l’oreille. Ceux de l’autre camp, debout dans le vestibule, surveillaient les allées et venues ou faisaient les cent pas en attendant le poète dans une spirale fébrile. Ils parlaient fort, agitaient leurs mains et fumaient beaucoup.
Le poète apparut enfin descendant les marches, solennel et très élégant, entouré de professeurs d’université et de critiques, tous en costume sombre et cravatés, sauf les deux femmes sobrement vêtues d’une petite robe noire. Dans l’escalier, il paraissait un roi, le roi du vertige, un roi sage et humble. Réellement il avait l’air d’un monsieur, et si ça n’avait pas été le cas, il serait alors une canaille de première, capable des crapuleries les plus basses. Mais le poète n’était pas une crapule ; c’était un homme très timide et il passa sans oser les regarder. Tous pénétrèrent dans la caverne chaude où l’on allait débattre d’un sujet récurrent, un exercice à la fois classique et rafraîchissant : les nouvelles voix de la poésie espagnole.
Dès son entrée, le poète pressentit le piège bleu du salon : il y faisait très chaud. En arrivant à la table, il chercha son nom sur les petits cartons blancs. Une fois qu’il l’eut trouvé, il parut rassuré ; il n’avait pas eu à se pencher excessivement, évitant ainsi d’exposer publiquement la myopie ennemie. On lui avait recommandé le laser inodore et, selon certains, indolore, c’était ce qui l’inquiétait le plus. Un rayon contre la vieillesse, voilà ce que devraient inventer les scientifiques, pensa-t-il, tandis que les autres invités finissaient de s’accommoder sur leurs sièges en s’adaptant comme ils pouvaient aux corps de leurs voisins. En effet, erreur d’appréciation des organisateurs, la table était beaucoup trop petite et les intervenants, sans être obèses, prenaient de la place. Face au public, coude à coude, après un regard à l’assistance, ils se résignèrent à s’asseoir en maugréant. Le poète maudit le spot au-dessus de lui qui le visait tout particulièrement et se rappela qu’il voulait maigrir. Bientôt il mourrait, et il préférerait le faire sans ses kilos en trop. Le visage du poète s’illumina soudain du rouge des poules.
Il fallait se résigner, semblaient dire ses yeux qui maintenant erraient en direction du public avec une attention intense peut-être due à la myopie, mais le regard était sauvage, et la vivacité de ses yeux très rapprochés, le front traversé par un seul sourcil très fourni… un sanglier du Nord… contrastaient avec son habillement ; pourtant, si on avait regardé le fond de ses yeux, on y aurait vu le pantalon de velours de son cœur. Que faisait le poète quand il n’écrivait pas, quand il ne lisait pas ? Comment était sa maison ? Qu’est-ce qu’il aimait manger ? Avait-il des animaux ? Savait-il réparer une prise électrique ? Rien en lui ne laissait présager un quelconque talent manuel. Est-ce qu’il jardinait ?